Travail des chevaux de Tomáš Veígl

Grosses godasses déjà un peu crades, chaussettes montantes et pantalon moulant, la tenue vestimentaire de Tomáš ne laissait guère de doute sur sa destination : les écuries !
Un gros sac de sport contenant toutes ses affaires en bandoulière, le jeune homme commença par un crochet par la plus petite carrière, histoire de s’assurer qu’elle était disponible, puis il s’engagea dans l’allée bétonnée autour de laquelle s’ouvraient les portes des boxes. Quelques têtes poilues émergèrent et le regardèrent passer avec plus ou moins d’intérêt.
Il poussa un petit sifflement en arrivant près du box de sa jument, ne s’attendant certes pas à ce qu’elle sorte, mais à force, en entendant ce son qui lui était unique, elle finirait par comprendre…
« Mad’moiseell’Javaa ! » appela-t-il d’un ton guilleret en laissant lourdement tomber son sac près de la porte.
Elle leva la tête et le considéra, l’œil impavide, sans même sortir le nez.
« Bonjour beauté, oui, moi aussi, je suis content de te voir… »
Le jeune homme avait coutume de remplir ses poches de morceaux de carotte préalablement coupé. Il en prit un, le posa à plat sur sa paume et le tendit à Java thankU qui le contempla quelques secondes avant de se décider à le happer entre ses lèvres habiles. Tomáš lui caressa le chanfrein, ce qu’elle parut n’apprécier que très modérément, mais cette fois elle ne fit rien pour se dégager, ce qui était plutôt bon signe.
Récupérant le licol orange qui était attitré à la trotteuse, le Slovaque entrouvrit la porte et se glissa à l’intérieur du box pour attacher la jument, qui secoua la tête lorsqu’il eut bouclé l’attache. À peine eût-il ouvert en grand le battant de bois que Java voulut se précipiter dehors, sans se préoccuper de bousculer son cavalier. Ce dernier la fit reculer et ressortir une nouvelle fois, plus calmement. Il était bien décidé à se montrer ferme et même, intransigeant sur certains points : vu la taille et la force de la jument, ainsi que sa nervosité, il ne pouvait tolérer le moindre manque de respect.
Ayant obtenu d’elle qu’elle reste plus ou moins sagement derrière le temps de sortir, il l’attacha à l’anneau et eut un geste pour prendre l’étrille avant de se raviser. Un petit défouloir ne lui ferait pas de mal… Il lui mit donc cloches et guêtres aux pieds, puis la conduisit directement dans le petit manège, où il la lâcha. Immédiatement, la jument partit en décochant une ruade, et Tomáš s’accouda à la porte pour regarder Java se déchaîner, courant en tous sens et se roulant consciencieusement dans le sable, comme si elle avait pour seul et unique but d’en incruster définitivement son poil.
Amusé, le jeune homme demeura la durant les vingt bonnes minutes que dura la petite folie de la jument. Par moment, elle se calmait et s’arrêtait ou marchait lentement, l’encolure basse, avant de repartir brusquement, comme piquée par une mouche invisible. Lorsqu’il fut sûr, en la voyant ralentir, que cette accalmie-ci était définitive, Tomáš rentra dans le manège et appela la jument. Comme de bien entendu, elle s’éloigna lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques mètres d’elle, mais se retrouva dans le coin. Tomáš s’était arrêté dès qu’elle avait fait mine de fuir, et, immobile pour ne pas paraître menaçant, il persistait à l’appeler. Évidemment l’effet en était assez limité, aussi sortit-il un nouveau bout de carotte de sa poche, ce qui, bizarrement, intéressa nettement plus Java… ! Timidement, elle s’approcha de lui et se distendit l’encolure pour happer la friandise.
« Allez mam’zelle, on se décide, viens… »
Il lui tendit un autre bout de carotte, sans tendre le bras, et elle finit par se décider à approcher. Tandis qu’elle croquait le légume orange avec gourmandise, il rattacha le mousqueton de la longe au licol.
« Allez, on rentre ! » décréta-t-il en attirant la jument à sa suite.
Ils regagnèrent les écuries, et le jeune homme attacha Java qui s’ébroua et secoua tout son corps, ce qui eut pour effet de faire claquer ses sabots sur le béton. Bon, au moins maintenant il y avait un peu moins de sable sur elle…. !
Tomáš commença par lui faire renifler son étrille, puis, en posant sa main sur le dos de la jument pour la prévenir avant le contact de la brosse de plastique, il commença à dessiner des formes plus ou moins rondes, décrochant une multitude de grains de sable des poils marron foncé de Java. Une fois qu’il eut étrillé toutes les parties « charnues » de la trotteuse (encore que même à ces endroits-là, elle était un peu maigrelette…), le jeune homme réquisitionna le bouchon et poursuivit son œuvre en passant cette fois sur tout le corps, plus doucement sur les membres. Chaque coup de brosse éliminait une sympathique quantité de sable..! Et pour finir, la brosse douce, histoire de lustrer le poil qui acquit ainsi une brillance nouvelle.
« C’est tellement mieux comme ça ! Tu ne trouves pas ? »
Euh, en fait elle avait plutôt l’air de s’en fiche.
Un rapide et quelque peu superficiel démêlage des crins succéda, puis Tomáš batailla un peu pour obtenir de Java thankU qu’elle lui laisse curer ses pieds.
Et voilà, maintenant, elle était impeccable.
Aujourd’hui était un grand jour, ainsi que le jeune Slovaque en informa son cheval en revenant lourdement chargé de la sellerie. Et oui, une première monte ! Tomáš lui mit ses guêtres aux antérieurs, puis il posa doucement l’épais tapis sur le dos de la jument, avant d’ajouter par-dessus la selle de cuir qu’il fit légèrement glisser en arrière pour la caler bien à sa place. Il attacha la sangle sans serrer, vérifia que tout était en place et que les couteaux porte-étrivières étaient fermés –semer ses étriers dans la carrière, ce n’était en effet pas nécessairement une très bonne option…!
Le jeune homme détacha le licol et le mit en « collier de chien » autour du cou de Java, puis il lui passa les rênes par-dessus la tête et, tenant d’une main les montants du filet et de l’autre le mors, il présenta ce dernier à la jument qui voulut lever la tête pour ne pas se laisser brider. Cependant Tomáš avait passé le bras de l’autre côté de sa tête, la main sur le chanfrein, et il la tint tandis que son pouce se glissait à la commissure des lèvres, venant chatouiller la langue. Enfin, Java desserra la mâchoire et la barre métallique pénétra dans la bouche, venant naturellement trouver sa place dans les barres, cette région dépourvue de dents. Le jeune homme passa la têtière derrière les oreilles, baissa légèrement le frontal qui pinçait la peau, puis il boucla la muserolle croisée et la sous-gorge, non sans vérifier que tout était bien ajusté.
Satisfait, il fit un pas en arrière pour admirer sa monture dans son entier. Grande, bai foncé, elle n’avait certes pas une conformation et un port splendides mais il était persuadé qu’avec un peu de travail, ça s’améliorerait considérablement. Il avait assorti tout son matériel en orange, avec quelques touches de gris, et cela s’assortissait à merveille avec sa robe sombre, la couleur vive et joyeuse des guêtres et du tapis venant trancher avec le poil plutôt sobre.
Tomáš troqua rapidement ses grosses chaussures contre des bottes qu’il fit émerger de son sac, puis il posa sa bombe sur sa tête.
« Okay girl… Let’s go ! »

Selon toute apparence, ce n’était pas sa vingtaine de minutes en liberté qui avait mis à mal le peps Java thankU. Toute excitée et frétillante, la jument suivait le jeune homme mais il sentait bien qu’elle brûlait de le doubler, et ses sabots résonnaient par-terre beaucoup plus souvent qu’ils ne l’auraient dû, preuve qu’elle était… plutôt sautillante !
« Chuut… Hey, relax demoiselle, on dirait que tu marches sur des épines dis-moi ! »
Ils parvinrent à la carrière que Tomáš referma derrière eux, avant de venir se placer au milieu où il arrêta sa jument. Elle piétinait sur place tandis qu’il la ressanglait progressivement puis vérifiait rapidement que tout était en place avant de passer les rênes par-dessus la tête et de les ajuster dans sa main gauche. Il glissa son pied botté dans l’étrier, attrapa le troussequin et d’une impulsion de la jambe droite, se retrouva en selle. Il s’assit en douceur et souffla doucement entre ses dents, savourant comme chaque fois ce plaisir de se poser à cheval, de sentir la masse chaude et puissante de sa monture entre ses jambes.
Toutefois Java n’avait pas attendu qu’il soit installé pour prendre les devants et partir en avant. Raccourcissant ses rênes et usant de la voix, il l’arrêta et insista pour qu’elle reste immobile plusieurs secondes, le temps pour lui de s’assurer que ses étriers étaient bien réglés, mais aussi et surtout pour qu’elle comprenne qu’elle était supposée ne pas bouger avant qu’il le lui demande.

Il la fit partir au pas et la mit sur la piste, les rênes lâches. Il la laissa marcher tranquillement un tour ou deux, histoire qu’elle se mette en route et qu’ils s’habituent l’un à l’autre, mais même là, alors qu’il la laissait pépère et libre de faire ce qu’elle voulait, elle avançait à grandes enjambées rapides, avec, lui sembla-t-il, une certaine voire même très forte tendance à venir beaucoup trop sur les épaules.
Il remonta progressivement sur les rênes jusqu’à nouer un contact avec la bouche de Java, et tout en se redressant tâcha de la faire ralentir, ce qui demanda de sa part des aides plus fortes qu’il ne s’y était attendu. Il lui fit faire une demi-volte, puis alors qu’ils rejoignaient la piste, se redressa, épaules légèrement reculées, demandant un arrêt qui fut très, très loin d’être net et carré ! Tomáš avait une main plutôt douce et, sans monter des chevaux hyper sensibles il était tout de même habitué à avoir une réponse assez vive lorsqu’il utilisait les rênes. Or, là, il n’y eut tout d’abord aucune réaction de la part de Java, si bien qu’il dut intensifier ses aides pour qu’elle consente enfin à s’arrêter.
Il la fit repartir, et là une infime pression de jambes suffit pour la faire avancer, mais une fois de plus son allure, bien que rapide, était loin d’être correcte.
Le jeune homme se lança donc dans une série d’exercices ayant pour but de mettre la demoiselle en avant : arrêts, transitions intra-allure, et diverses figures de manège, avec un goût particulier pour les cercles. Demander beaucoup, sans cesse, telle est la règle pour maintenir un cheval aux ordres et il s’y pliait, avec d’autant plus de soin qu’il sentait bien que Java thankU avait la tête ailleurs.
Ayant réussir à obtenir une jument dans l’impulsion, le jeune homme opéra une transition au trot… qui fut tout sauf correcte car Java précipita et prit tout de suite beaucoup de vitesse.
« Hooo làà, tout doux ! »
Tomáš réagit au quart de tour, et heureusement car la jument, qui s’avérait décidément très dure de bouche, aurait été encore plus difficile à réfréner s’il lui avait laissé plus de temps… Il la repassa au pas et prit le temps de la remettre à une bonne allure, régulière et active, puis redemanda le trot, avec plus de tact.
Cette fois le départ fut nettement mieux mais bien loin de la perfection !
Java trottait complètement sur les épaules et il réfréna ses ardeurs de vitesse. La plaçant sur un cercle, il tâcha de la cadencer et de la mettre en équilibre, tout en veillant rigoureusement à maintenir l’impulsion. Lorsqu’il eut obtenu ce qu’il voulait, il félicita la jument et repassa au pas –veillant à ce que cette allure aussi soit active-, changea de main sur une demi-volte et redemanda le trot avec précautions.
Le problème était cette fois encore le même et le jeune homme dut ralentir sa monture tout en la mettant dans l’impulsion. La détente se poursuivit ainsi, alternance de pas et de trot et de figures ayant à la fois pour but d’assouplir latéralement la jument, de maintenir son attention et son impulsion. C’était un travail de tous les instants, qui requérait l’entière et totale attention de Tomáš. Sa concentration se voyait d’ailleurs sur son visage, fermé voire tendu, le front se plissant légèrement lorsqu’il sentait Java se dérober ou résister à ses demandes.
Il était temps de passer à une étape suivante et qui risquait de s’avérer assez délicate : le galop. Le jeune homme avait pu constater en longe, la veille, que Java thankU n’était franchement pas une pro en la matière… C’était normal : elle avait été élevée, mise au monde, sélectionnée et entraînée pour les courses de trot, et l’on avait tout fait pour bannir le galop de sa vie. Il la comprenait : ça devait lui faire bizarre qu’on lui demande précisément l’allure pour laquelle, jusqu’ici, elle avait été punie…

Tout d’abord, il s’agissait avoir un trot actif et énergique mais surtout pas rapide, une allure régulière et même cadencée, et bien sûr un cheval à l’écoute. Ces paramètres se trouvant plus ou moins réunis, le jeune homme se plaça sur la piste à main droite et, en arrivant dans le coin, il recula sa jambe gauche, maintint la droite à la sangle tout en avançant sa hanche intérieure, et céda de la main droite tout en fermant les jambes.
Il était sûr de lui et convaincu d’avoir impeccablement placé ses aides en une demande on ne peut plus claire, mais apparemment Java et lui ne parlaient pas le même langage… La jument accéléra le trot, et il lui fallut se redresser, la calmer de la voix et jouer des doigts sur les rênes pour la calmer.
Le jeune homme redemanda un bon trot, puis il replaça ses aides, obtenant le même insuccès. Il se plaça alors sur un cercle en A, mais à son grand dam, c’était une cause perdue. Que ce soit à main gauche ou à main droite, il était impossible d’obtenir la moindre foulée de galop.
En revanche, Java s’excitait très fort. Soudain, alors qu’il plaçait ses jambes pour un ultime essai, elle accéléra beaucoup plus fort et plus vite que les autres fois. Et, malgré les efforts de Tomáš, elle restait obstinément sourde à ses actions de main.
« Hooo làà, hooo… Hoooo làààà… »
Peine perdue… elle ne faisait qu’accélérer, son trot devenant de plus en plus rapide. Jamais il n’avait été aussi vite à cette allure ! C’était une sensation étrange ; il avait l’impression de ne plus toucher terre, et cette vitesse avait quelque chose de grisant, comme s’ils volaient, mais en même temps c’était très inconfortable… ! Oui, le trot de course était une sensation étrange, et qui aurait pu être agréable… s’il n’était pas en train de se faire embarquer. Or, là, c’était justement ça : il se faisait embarquer, et en beauté.
Sa voix ne lui était d’aucune utilité et Java thankU faisait preuve d’une dureté de bouche assez impressionnante. D’autant qu’elle ne cessait d’accélérer !
D’ailleurs peu à peu, elle agrandissait son cercle et à un moment, ignorant les directives de son cavalier, se détacha carrément de la trajectoire voulue. Tomáš fit alors une rêne d’ouverture droite, couplée à une rêne d’appui gauche, et il dut largement écarter sa main pour tourner la tête de la jument là où il voulait qu’elle aille tout en poussant ses épaules dans la même direction grâce à sa rêne gauche. Jamais il n’avait utilisé ses mains avec autant de force, habitué qu’il était à des aides très légères… Java consentit à tourner mais le jeune homme ne céda pas pour autant ; il maintint ses aides en place, contraignant la jument à dessiner un cercle qui se rétrécit progressivement. Et le tout, sans cesser de lui parler avec le futile et certainement vain espoir qu’elle obéirait à sa voix.
Enfin, comme elle tournait de plus en plus court, vint un moment où elle n’eut d’autre choix que de ralentir et Tomáš sentit très nettement le moment où elle bascula du bon côté de la Force dans le mode « écoute du cavalier » et où il reprit le contrôle. Bon évidemment elle était loin de lui obéir au doigt et à l’œil mais elle retrouvait un semblant d’obéissance, qu’il mit à profit pour la repasser au pas.
« Fffiou… Ben dis moi, c’est quelque chose le trot de course dis-moi ! »
Il était tout à fait d’accord pour retenter l’expérience mais… pas aujourd’hui, sans précipitation, et surtout en gardant constamment le contrôle de la jument !
Il flatta son encolure et la marcha un peu, puis rajusta ses rênes.
« Okay miss… Bon, on va se prendre une petite "aspirine" pour finir… ! »
Kézacoo ? me demanderez-vous avidement. Ben quoi, vous ne connaissez pas cette phrase de Nuño Olivieira, qui définit l’épaule en dedans comme l’« aspirine de l’équitation » ? Bon, si vous ne savez même pas qui est Olivieira, je vous conseille soit une encyclopédie de toute urgence, soit… Bref, passons, fin de la parenthèse
Donc, après avoir ranimé l’écoute de sa jument et l’avoir mise dans l’impulsion, Tomáš plaça ses aides. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre, vu le niveau général de Java, mais apparemment, elle avait tout de même été dressée car elle répondit à peu près positivement à ses aides, ce qui prouvait qu’elle comprenait au moins vaguement ce qu’il voulait. Dès qu’elle céda il la remit droite tout en la félicitant généreusement, puis il replaça ses aides avec grand soin et cette fois attendit une ou deux foulées avant de céder et de féliciter la jument. Le jeune homme tenta la même chose à l’autre main, puis il se déclara satisfait de cette séance.
Il laissa marcher Java thankU pendant un moment, les rênes longues… ou plutôt mi-longues, car avec elle on ne savait jamais à quoi s’attendre, et de son côté déchaussa ses étriers, laissant tomber ses jambes.
Puis, il doubla dans la largeur et vint s’arrêter à peu près proprement au milieu. Il balança la jambe droite par-dessus la selle et zouip ! se retrouva par-terre.
Il dessangla de deux trous et détacha la muserolle pour offrir une carotte de récompense à sa brave petite (bon d’accord, grande) jument, puis la ramena à l’écurie.
Tout en cheminant vers les boxes, il se repassait mentalement le film de la séance qui venait de passer. Ça leur avait pris combien ? Une demi-heure ? En tout cas c’était bien suffisant, Java n’était pas assez solide physiquement et n’était pas capable de travailler dans le bon sens pour l’instant, un certain nombre de séances de longe s’imposaient donc ainsi qu’un enrênement pour remédier à tout cela…

Tomáš vint trouver sa trotteuse préférée dans son box, et lorsqu’il la sortit il dut une fois encore lui faire la discipline pour qu’elle ne jaillisse pas dehors en le bousculant ! Tss, celle-là alors…
Durant tout le pansage elle ne tint carrément pas en place, ne cessant de gigoter en tous sens de la manière la plus excitée qui soit. La patience de Tomáš avec les chevaux était légendaire… ce qui ne l’empêcha pas de frôler l’agacement au bout du vigt-huitième coup de queue qu’elle lança, ses crins fouettant l’air.
« Tu sais fifille… je t’aime bien mais si tu pouvais arrêter de bouger TROIS SECONDES, ça m’aiderait UN PEU ! »
Oui mais non, Java fit la sourde oreille, ce qui ne causa guère de surprise au jeune homme –à force, il avait l’habitude…
Tant bien que mal, il parvint à la panser. Le plus délicat avait été l’étrille, ce qui donnait à la jument dix mille raisons de tressaillir, sursauter et gigoter. Il voulait bien admettre qu’elle était chatouilleuse, mais là, elle le faisait exprès ! Bon, le bouchon non plus n’avait pas été une partie de plaisir dans certains endroits délicats, notamment les membres qu’elle ne cessait de remuer. Aah, et puis le cure-pieds… Mais ça, ce n’était pas nouveau, Java ne donnait jamais son pied qu’avec réticence.
« Tu sais quoi ? Tu es mon désespoir… Ma croix et ma calamité personnelles… » soupira le jeune homme en se redressant, ayant enfin réussi à nettoyer sa jument dans son intégralité.
Mais tout en disant cela, il lui flattait l’encolure, preuve que ces mots avaient plus une valeur hyperbolique qu’autre chose.
Bon, même si elle n’était pas impeccable, c’était bien suffisant et puis de toute façon, elle ne tiendrait plus très longtemps, attachée ainsi. Aussi Tomáš brida-t-il sa jument, avec quelques difficultés sur lesquelles nous ne nous attarderons pas… Il lui mit des guêtres aux antérieurs, puis posa sur son dos son tapis de selle et le surfaix tout neuf qui servirait à attacher l’enraînement. Quant à l’enraînement en question, il s’agissait d’un gogue, choisi sur les conseils de l’ostéo, pour rééduquer la trotteuse. Le jeune homme le fit passer dans la sangle et l’attacha au filet malgré les "remuations" de sa fofolle de jument, puis il la détacha et la conduisit au rond de longe en faisant son possible pour contenir son excitation sur le chemin.
Une fond dans le rond, il récupéra la chambrière à l’entrée et se plaça au milieu, envoyant Java sur la piste. Complètement dissipée, elle ne tarda pas à partir au trot à fond et il la laissa faire pendant un moment. Mieux valait qu’elle se défoule maintenant, surtout si ça lui permettait d’être plus aux ordres après… !
Lorsqu’elle ralentit il la fit marcher tranquillement quelques instants, puis, de la voix, il lui demanda un pas plus tonique, appuyant sa demande en dirigeant la chambrière vers son arrière-main. Java s’exécuta mais accéléra un peu trop. Le jeune homme la ralentit à la voix, puis il lui demanda quelques variations d’allure et deux-trois arrêts qui furent bien difficiles à obtenir. Il poursuivit la détente en intégrant du trot à ses exercices, et de nombreuses transitions qui, chaque fois, demandaient une infinie patience de sa part, surtout lorsqu’il s’agissait de ralentir.
« C’est bien, fifille ! » la félicita-t-il en l’arrêtant pour la faire changer de main.
De ce côté-ci, Java avait un peu tendance à se coucher sur le cercle, le contraignant à pointer fréquemment sa chambrière sur son épaule pour qu’elle reste à sa place.
Une fois qu’elle fut détendue aux deux allures, il l’arrêta pour la changer de main, et en profita pour fixer le gogue. Il vérifia l’ajustement de l’enrênement ; le dos et l’encolure étaient sur une ligne horizontale, c’était donc correct et ainsi, Java pourrait ainsi travailler dans le bon sens, en étant bien placée.
Il la mit au pas actif, observant sa locomotion, à la recherche d’une quelconque gêne ou difficulté de la jument, mais ne vit rien de négatif, au contraire. Maintenant qu’elle était bien placée, c’était à lui de faire en sorte que cette séance soit efficace et utile…
Il s’agissait donc de toujours maintenir l’impulsion, car les allures molles sont parfaitement inutiles en longe. Tomáš plaça des barres en éventail par-terre. De cette façon, lorsqu’il ferait venir Java vers l’intérieur les barres, plus proches les unes des autres, lui feraient rétrécir ses foulées tandis que vers l’extérieur, elles étaient bien plus écartées de manière à faire agrandir ses foulées à la jument.
Il commença par tester la chose au pas, veillant à ce que cette allure demeure tonique. D’abord, un cercle en restant au milieu, là où les barres étaient normalement espacées, pour permettre à la jument de découvrir le dispositif. Après quoi, il lui demanda d’allonger progressivement l’allure tout en agrandissant le cercle. Elle n’avait pas beaucoup d’amplitude et n’alla pas jusqu’au bout des barres, de toute façon le plus grand espacement était prévu pour le trot. Il la fit revenir à un pas normal tout en la félicitant, puis la fit venir vers lui et donc, rétrécir peu à peu ses foulées.
La jument avait un peu tendance à accélérer et faire de petits pas sautillants, ce qui n’était pas le but recherché aussi la fit-il revenir à la normale et recommencer plus progressivement. Tomáš félicita chaleureusement Java et la fit changer de main, puis il testa le même exercice au trot, uniquement pour allonger l’allure. Toutefois il se contenta de peu, sentant la jument toute prête à prendre ce fameux trot de course qu’elle chérissait tant et qui était si difficile à contenir !
C’était une séance brève, encore une fois, mais très concluante. Beaucoup d’autres séances de longe s’annonçaient encore, uniquement au pas et au trot, c’était la condition pour remettre Java en muscles et en confiance avant d’aborder le réapprentissage du galop…
Le jeune homme lui donna une carotte et détacha le gogue, puis ils rentrèrent à l’écurie.

Six heures du matin, et tout au bout de l’allée des boxes de l’écurie Raleigh se profilait une silhouette solitaire. Quoi, Tomáš, debout –et, est-il besoin de le préciser ? paré de pied en cap pour une journée de cheval-, si tôt ? Et un samedi ?! Et en prime, il avait même l’air très bien réveillé.
Hé oui, saisi d’une brusque poussée de motivation, le jeune homme avait programmé son réveil bien tôt ce matin, et la douche froide n’avait pas été de trop pour lui remettre les idées en place et permettre à ses yeux de s’ouvrir pleinement. Maiis, allez-vous me demander avec incrédulité, qu’est-ce qui a bien pu le pousser à sortir de chez lui au petit matin comme ça ??! Cela dit si vous connaissez un tant soit peu le personnage, ma réponse ne vous étonnera pas car s’il y a bien une –et peut-être unique- chose suffisamment importante pour le motiver à se lever, c’est bien son cheval.
Son projet du jour était de suivre les conseils de son amie et ostéopathe préférée, qui lors de la dernière visite de Java lui avait conseillé de faire des montées au pas pour muscler la jolie demoiselle. Difficile de trouver une montée dans une carrière, d’autant que ce genre de structure est plutôt conçue pour, justement, avoir un terrain plat. Donc, il leur faudrait sortir en extérieur, ce qui n’était pas pour déplaire au jeune homme, histoire de sortir de la routine qui menaçait de s’installer avec tout ce travail dans le rond de longe.
Cela dit, une balade en plein été n’est pas forcément très agréable surtout quand le but est de faire des efforts, et c’est donc pour éviter les grosses chaleurs de la journée que Tomáš jouait les matinaux…
« Hey Java ! Comment ça va oji ? » demanda-t-il d’un ton joyeux, tandis que la trotteuse sortait la tête à son approche.
Le regard impavide qu’elle lui renvoya n’avait rien d’une réponse, mais cela ne dérangea guère le jeune homme qui tendit la main vers elle et se laissa renifler avec prudence avant d’être autorisé à caresser la tête de sa monture. Ne se la jouait-elle pas un peu trop grande dame, cette jolie baie ?
« Allez mamoiselle, on sort de sa boîte… Dou-ce-ment ! »
Quelques geste fluides, et le licol orange était mis en place, la porte grande ouverte et la jument prête à sortir en mode fusée-qui-bouscule-tout-sur-son-passage. Tomáš la retint avec autorité de manière à ce qu’elle sorte sagement à sa suite. Bon d’accord pour le « sagement » ce n’était pas tout à fait gagné, puisque bien qu’il soit six heures et quelques, elle était déjà parfaitement réveillée & en grande forme… et je dirais même, passablement excitée.
« Ohlà, doucement jeune fille… »
Elle piétinait sur place tandis qu’il l’attachait à l’anneau, comme si elle jouait aux percussions avec ses sabots et le sol. Le jeune homme jugea qu’il valait mieux se presser un minimum pour le pansage, inutile de jouer avec la patience des plus limitées de la demoiselle Java thankU…
Donc, il expédia rapidement le brossage, dut consacrer un poil plus de temps au curage des pieds rendus laborieux par la nervosité de la jument, puis commença à la seller. Il attacha la sangle sans serrer, puis, sans tenir compte de gesticulations de Java, la brida.
« OK, on est bons ! »
Il récupéra sa longe de travail et une chambrière, puis entraîna la jument vers le rond de longe. Une fois sur place, Tomáš coinça les rênes dans la sous-gorge puis il attacha la longe plate au filet. Se plaçant au milieu, il fit s’éloigner Java de lui.
Avant de partir tout seul en extérieur, il aimait autant qu’elle lâche son jus pour éviter qu’il lui prenne la fantaisie de le foutre par-terre en pleine forêt. Et puis, il préférait aussi la détendre en main avant la balade.
Le jeune homme dut donc subir et supporter un début de séance assez remuant dans la mesure où Java enchaînait les cercles à toute allure et faisait du grand n’importe quoi, avec une grande préférence pour se coucher à l’intérieur du cercle et sortir sa tête à l’extérieur. Dans le genre calamité celle-là alors… Il pointa donc la chambrière sur l’épaule de la jument, mais face aux résultats assez peu probants qu’il obtint de la sorte il dut aller jusqu’à toucher Java. Elle resta alors en place, quelques mètres, puis chaque fois au même endroit se recouchait sur le cercle. Après avoir corrigé la trajectoire bon nombre de fois Tomáš anticipa le coup en plaçant sa chambrière à l’avance de manière à la dissuader de se coucher, mais il avait besoin d’une vigilance constante pour ne pas voir réapparaître ce défaut presqu’aussitôt.
Or la vigilance constante n’était pas facilitée par le comportement de la jument qu’il avait toutes les peines du monde à canaliser…
Mais bon, finalement, demoiselle consentit à écouter le jeune homme et, enfin, repassa au pas. Cette petite crise de folie passée, Tomáš savait qu’ils allaient pouvoir travailler avec un peu plus d’efficacité désormais. Avec des transitions inter & intra allures plus ou moins réussies, il travailla la jument symétriquement aux deux mains avant de la rappeler à lui.
« Okay miss… C’est bon ! »
Il lui tendit un des bouts de carottes qui hantaient perpétuellement ses poches pour la féliciter, puis remit les rênes à leur place, détacha la longe et ressangla, sans manquer d’engueuler Java qui jouait à tourner en rond autour de lui.
Après avoir vérifié que chaque partie du harnachement était à sa place et correctement ajustée, Tomáš descendit ses étriers et monta rapidement en selle. À peine Java sentit-elle le poids du jeune homme qu’elle se mit à marcher alors qu’il passait sa jambe par-dessus son dos. Déséquilibré, il s’assit un peu plus brutalement qu’il ne l’aurait voulu et stoppa immédiatement la jument, la maintenant à l’arrêt plusieurs secondes… enfin, arrêt, c’était assez approximatif, vu que Java piétinait allègrement en agitant la queue.
Le couple sortit au pas du rond de longe, Tomáš maintenant sa jument à une allure lente pour dépasser la carrière où deux cavaliers évoluaient avec leurs chevaux. La grande baie dressa les oreilles et tourna la tête en direction de ses congénères, ronflant des naseaux, puis elle lâcha un hennissement strident.
« Chuut, ma belle… Tu sais, y’a un truc super et parfois fort utile, et ça s’appelle la discrétion, figure-toi… »
Enfin, ils gagnèrent l’orée de la forêt et à l’approche des bois, le jeune homme sentit sa monture vibrer et même se trémousser d’excitation. Tâchant de l’apaiser de la voix, Tomáš s’engagea sur la large piste gravillonnée.
Java tournait la tête de tous côtés et ses oreilles ne restaient pratiquement jamais en place, comme si elles essayaient de s’orienter dans tous les sens à la fois. Elle trottinait plus qu’elle ne marchait, et ses sabots sonnaient avec une légère irrégularité sur le gravier du sol. Soudain, alors qu’ils avaient progressé de quelques centaines de mètres déjà, le grondement d’un moteur se fit entendre au loin, et à en juger par le bruit qui montait crescendo, le véhicule non identifié se rapprochait de seconde en seconde. Quelques instants plus tard, un gros 4x4 fit son apparition dans un tournant. La voiture roulait au pas mais il n’en fallut pas plus pour paniquer la jument qui pila net et commença à reculer. Sans la voir, Tomáš avait pourtant une idée assez précise de ce à quoi elle ressemblait, yeux écarquillés et effrayés, naseaux dilatés, parfaite évocation de la peur.
« Du calme, du calme… »
La voiture ne cessait d’avancer vers eux et le jeune homme conduisit sa jument sur le bas-côté. Malheureusement, la concentration de végétation alentour les empêchait de s’enfoncer dans la forêt pour s’éloigner de la piste. Le véhicule s’approchait d’eux, de plus en plus doucement certes, mais ce n’est pas pour autant que Java se calmait ; Tomáš l’arrêta, aussi écartée de la piste que possible, et le conducteur du 4x4, qui avait finalement peut-être assez d’intelligence pour voir les difficultés qu’il causait au couple, se déporta sur le côté opposé du chemin, pour passer aussi loin que possible d’eux. Mais ce crétin, il n’aurait pas pu s’arrêter, tout simplement ! Moteur coupé, ce gros machin à roues serait déjà nettement moins impressionnant pour la jument qui pourrait alors le dépasser sans trop de difficultés…
Mais non, l’abruti persistait à avancer, tout doucement, et Tomáš faisait son possible pour garder la jument arrêtée sur le côté. Elle ne cessait de piétiner, et même de sautiller sur place, reculant parfois en levant la tête, dardant un œil fou sur la machine grondante. Puis, le 4x4 parvint à leur niveau, et tout à coup Java se cabra à demi avant de partir comme une flèche, droit devant elle.
La demoiselle avait cette particularité d’embarquer son cavalier non au galop comme tous les autres chevaux, mais au trot. Et là, Tomáš en venait à penser que tout bien réfléchi mieux vaut se faire embarquer au galop. Que celui qui dit que le trot c’est moins rapide/impressionnant/dangereux se manifeste, s’il l’ose ! Au trot de course, Java était tout à fait capable de doubler pas mal de chevaux au galop. Et, ajoutons à cela que c’était une allure infiniment inconfortable et pas très facile à suivre… Oui, là, le jeune homme n’était pas très fier de sa situation.
« Hooooo làà, hoooo… »
Voix = sans effet. Mains = ignorées. Total = où va-t-on atterrir ?
Cependant Tomáš ne se posait pas ce genre de questions et se contentait d’agir à l’instinct. Sans cesser de s’efforcer de calmer sa monture à la voix, il pratiquait des demi-arrêts, usant de ses mains par intermittence… mais le moins que l’on puisse dire c’est que les résultats étaient loin… bien loin d’être probants. Le jeune homme vit arriver une ouverture dans la végétation, à droite. Il connaissait ce chemin et savait que c’était là un petit sentier qui, au bout de quelques mètres, débouchait sur une clairière. Là, il pourrait mettre Java sur un cercle et reprendre le contrôle bien plus facilement…
Oui, mais pour ça il fallait déjà opérer un virage à quatre-vingt-dix degrés. Tomáš pratiqua une rêne d’ouverture de la main droite, qu’il dut intensifier jusqu’à tourner complètement la tête de la jument et dut compléter avec une rêne d’appui gauche. Et encore, cela ne suffit pas car lorsque la trotteuse consentit à tourner, ce ne fut pas assez –et trop vite aussi, il faut bien l’avouer ; résultat, elle fonça droit sur un arbre… et pila net juste avant la collision.
Le jeune homme se sentit partir en avant mais il resta en selle, et poussa un soupir qui mêlait allègrement soulagement, lassitude, agacement.
« Sale gosse ! C’était malin ça… très malin ! »
Il éloigna Java du tronc qui l’avait stoppée dans sa course et la remit sur la piste, au pas. Un peu plus loin, ils atteignirent une intersection et sans hésiter, Tomáš abandonna la piste où ils pouvaient potentiellement croiser une autre voiture. Du reste, il avait déjà prévu son itinéraire, choisissant de grimper sur une colline proche par un chemin qu’il connaissait plus ou moins.
Serrant les mollets, il mit sa monture dans un pas actif, accompagnant gentiment de ses mains le mouvement de balancier de son encolure. Leur sentier zigzaguait doucement entre les arbres, faisait s’enchaîner petites montées et petites descentes. En ce début de journée et sous l’ombre des feuillages, il faisait très frais, presque froid même. Après une dizaine de minutes toutefois, la végétation haute se clairsema, laissant filtrer de plus en plus de soleil tandis qu’ils grimpaient à flanc de colline.
Suivant les conseils de son ostéopathe, Tomáš n’accompagna pas la montée mais resta assis dans sa selle tandis que sa monture avançait sur le chemin qui n’avait cependant rien de très escarpé. Bientôt, il entendit le souffle de Java qui commençait à faire des efforts, et l’encouragea de la voix, maintenant ses mollets au contact pour veiller à garder une allure régulière.
Et puis, ils parvinrent au sommet, et le jeune homme rallongea légèrement ses rênes pour lui permettre d’étirer son encolure.
« Bravo fifille, c’est bien ! »
Tandis qu’elle soufflait, Tomáš jeta un regard alentour. Le promontoire sur lequel ils étaient montés n’était pas vraiment assez haut pour mériter le nom de Colline, tout bien considéré. Il dominait à peine le faîte de la forêt et n’offrait qu’un panorama assez réduit sur les environs. Pour leurs prochaines balades, quand la miss serait plus musclée et plus endurante, ils auraient d’autres « sommets » à atteindre, ça ne laissait aucun doute…
« Allez, on repart », décréta-t-il en dirigeant sa monture vers le chemin du retour.
Pas question de descendre n’importe comment, il ne la laissa pas accélérer mais veilla toutefois à ce que Java avance d’une allure active. Une fois parvenus en bas, il leur fallut une quinzaine de minutes de marche à travers les arbres pour rejoindre l’écurie. Tomáš ne pressait pas trop la jument, histoire de la laisser récupérer, et il lui autorisa deux-trois arrêts grignotage de temps à autre.
« Et nous voilà de retour au bercail… ! »

Suivi d’une Java tout excitée et guillerette à l’idée de quitter l’espace un peu trop confiné à son goût de son box, Tomáš parvint au rond de longe non sans avoir dû, à deux reprises, remettre la jument à sa place. Depuis le premier jour il restait sur la même ligne de conduite, à savoir, ne pas tolérer le moindre manque de respect de la part de la grande baie. Et donc que ce soit au moment de sortir du box, quand il la conduisait en main, au montoir ou n’importe quand d’autre, il était toujours très strict sur le comportement de la jument dont il ne laissait passer aucun écart, si petit fût-il. En règle générale, le jeune homme détestait se faire marcher sur les pieds, mais il était encore plus ferme à ce sujet avec Java ; grande, lourde et forte, elle était aussi du genre nerveuse et excitée, méfiante et du genre à devenir facilement incontrôlable. Donc, autant limiter au mieux les risques de débordement.
Tomáš récupéra la chambrière qui traînait à l’entrée du rond de longe puis il se plaça au milieu et enfila des gants avant d’envoyer Java sur la piste. Il avait pu constater qu’avec le tempérament… tumultueux de la demoiselle, ses paumes en pâtissaient et plutôt que de les brûler une nouvelle fois, il préférait prendre ses précautions.
Longe dans la main gauche, flot de longe et chambrière dans la droite, il pivotait tranquillement en suivant du regard sa jument qui, ravie de cette liberté après une nuit enfermée, ne tarda pas à se lancer dans de joyeux bonds de gaieté, enchaînant ruades et sauts de mouton tout en tournant à vive allure, ses sabots projetant des gerbes de sable.
Tomáš ne pouvait lui en vouloir d’avoir envie de se défouler ainsi, mais il ne la laissa pas faire très longtemps et, de la voix, entreprit de la calmer. Il fallut tout de même un moment avant que Java, ayant jeté son feu, consente à l’écouter.
Dès lors, le jeune homme échauffa la grande jument. D’abord, il la fit tourner au pas, cherchant à obtenir une allure énergique et cadencée, mais pas trop rapide contrairement à ce que la trotteuse semblait vouloir. Il la fit s’arrêter plusieurs fois, et ces arrêts, bien que très loin de la perfection, étaient tout à fait acceptables.
« Java, trot-tez ! »
Assortissant cet ordre d’un claquement de langue, Tomáš eut la satisfaction de voir la jument lui obéir tout de suite. Quels progrès elle avait fait depuis le premier jour, un peu moins de deux semaines plus tôt ! Bon, c’est vrai, ce qu’il lui demandait était loin d’être difficile, c’était même les choses les plus basiques qui soient. Mais lors des premières séances, Java s’était montrée intenable et à peu près sourde à la voix ; maintenant, elle effectuait des transitions correctes même si pas toujours très nettes, et se faire obéir d’elle n’était plus la bataille de tous les instants qu’il avait dû mener au début.
Cela dit, les choses n’étaient pas enfantines pour autant et il suffisait d’une seconde d’inattention du jeune homme pour que la jument recommence à n’en faire qu’à sa tête… Comme maintenant, d’ailleurs.
« Hooo làà, hoo… Auuu pas… »
Ouf, gaffe rattrapée.
Après quelques minutes, Tomáš arrêta la jument et la rappela vers lui pour la caresser et la faire changer de main. Il détacha le mousqueton de longe, et inversa le montage. Adepte de l’attache dite « à la Colbert », le jeune homme fit passer la longe dans l’anneau droit du mors, puis sur la nuque de la jument en suivant la têtière, avant de fixer le mousqueton à l’anneau gauche. Cela fait, il renvoya Java sur la piste, à main droite.
Lorsqu’il eut réussi à obtenir une jument attentive et aux ordres (enfin, autant que Java pouvait l’être…), Tomáš la fit revenir vers lui et il fixa le gogue, veillant à ce que l’enrênement soit impeccablement ajusté, avant de faire changer de main la trotteuse.
Maintenant ils entraient dans la phase de « vrai » travail ; la jument étant placée, elle pouvait bosser pour de bon et se muscler comme il le fallait.
Le jeune homme, privilégiant l’usage de la voix et éventuellement de sa propre position plus que la chambrière, demanda à Java d’allonger progressivement le pas durant un tour entier, tout en luttant contre la tendance de la demoiselle à vouloir passer directement au trot. Puis il la fit ralentir, ralentir, ralentir, sans lui permettre pour autant de s’"endormir" et de perdre son impulsion. Directement, il lui demanda un départ au trot qui fut exceptionnellement propre, même si un peu rapide, puis enchaîna les transitions. Pas, trot, arrêt, trot, pas, trot, arrêt, pas, arrêt, trot… Sans oublier bien sûr de fréquentes variations de la taille des foulées, ce qui était loin d’être le point fort de la grande baie.
Ainsi qu’il avait pu le remarquer au cours des séances passées, elle avait tendance à se coucher sur le cercle à main droite, alors qu’à gauche il lui arrivait plutôt de sortir la tête à l’extérieur et de tirer, ce qui n’était pas moins désagréable. Donc, il n’avait d’autre choix que de pointer régulièrement sa chambrière sur l’épaule de la jument pour la dissuader de quitter le cercle. Problème d’équilibre latéral, ça…
Toutefois, que les exercices du jeune homme lui aient permis de s’équilibrer ou bien autre raison, Java cessa peu à peu de trop se coucher sur le cercle, ce qui n’empêcha pas pour autant le jeune homme de rester vigilant.
Tomáš la fit transitionner au pas et, après un tour, en conclut que l’allure était, sinon parfaite, du moins bonne : active, pas trop rapide, régulière tant qu’il ne baissait pas son attention, et Java ne se couchait plus ni ne précipitait.
Il fit un pas vers les hanches de la jument, fléchissant les genoux, pointa la chambrière sur le jarret de la grande baie, tout en ordonnant :
« Gaa-lop ! »
Java partit au grand trot en agitant la queue et il la calma de la voix avant de la faire tranquillement repasser au pas. Tomáš recommença :
« Gaa-lop ! »
Il agita légèrement sa chambrière pointée sur le jarret de Java, et cette dernière s’élança.
Une foulée. Un peu bizarre, pas très belle. Une seconde. Une troisième.
Explosion de bonheur.
« Oooh làà, auuu paas… Bravo, bravo, bravo ma belle ! Magnifique ! »
Il l’arrêta, la fit venir vers lui et la félicita avec chaleur, puis lui tendit ce qu’il n’avait vraiment pas l’habitude de donner aux chevaux : un sucre.
« Ma trotteuse d’amour… » souffla-t-il en repoussant le toupet noir qui venait masquer les yeux de Java.
Rapidement, il inversa le montage de longe et renvoya la jument sur la piste, à main gauche. Quelques transitions lui permirent d’obtenir le pas qu’il voulait, et, faisant un pas en avant tout en dirigeant la chambrière sur la pointe du jarret de Java, il ordonna :
« Gaa-lop ! »
Elle prit le trot.
Sans se laisser démonter pour si peu, Tomáš recommença la manœuvre, sans succès. Au troisième essai, il réussit à obtenir un vague truc ressemblant à une foulée de galop et il félicita de la voix la demoiselle, histoire de lui montrer qu’elle s’approchait de ce qu’il demandait.
Quatrième tentative : infructueuse. Cinquième : une foulée de galop et demie !
« C’est bien ma Java… Vraiment bien ! »
Il rappela la jument à lui et flatta son encolure douce et soyeuse, intensément heureux.
En tout et pour tout, vingt-cinq minutes de travail, et quatre foulées et demie de galop.
Il y a des victoires qui paraissent futiles aux autres, mais qui sont intensément précieuses…
Ce n’était pas la fin des problèmes, oh non ! loin s’en fallait. À vrai dire ce n’était que le début de nouvelles et multiples complications… Mais Tomáš aimait les défis. Et pour une minute de bonheur comme celui qu’il ressentait en cette instant, il était prêt à endurer des jours, des semaines de difficultés et d’échecs.
Après avoir croqué le sucre qu’elle avait bien mérité, Java fut libérée de son enrênement et renvoyée sur la piste pour faire quelques tours au pas tranquille, retour au calme après l’effort.
Puis, le jeune homme et sa grande baie quittèrent, côte à côte, le rond de longe.

Vu la chaleur qui, en ce mois de Juillet, régnait, omniprésente, sur les terres de Midolphian, Tomáš jugea nettement préférable de se diriger vers le petit manège. Histoire d’avoir un toit au-dessus de la tête, ce qui leur épargnerait l’intensité brûlante des rayons du soleil de la pleine journée. Pas sûr que ce soit suffisant pour ne pas avoir trop chaud, mais bon… On fait comme on peut, hein !
Le sol du manège était très sec, pour ne pas dire, poussiéreux. Là, ils n’avaient pas trop le choix… Résigné à attendre quelques minutes, le jeune homme lança l’arrosage, ce qui n’avait apparemment pas été fait depuis un bout de temps. La chaleur & l’évaporation aidant, le sable était dans un état catastrophique.
En attendant, il détacha la muserolle de sa jument et la laissa brouter sur le bas-côté. Java ne se le fit pas dire deux fois, et plongea le nez dans l’herbe un peu jaunie par l’été. Lorsque le bruit des tuyaux d’arrosage cessa dans le manège, Tomáš arracha avec cruauté la malheureuse jument affamée à son festin pour la conduire dans la salle de torture. En d’autres termes, il mit fin à la petite séance de brouting pour la conduire dans le manège… Chacun son point de vue xD
Le sable humide dégageait une atmosphère agréablement fraîche. Ça ne durerait pas longtemps, mais c’était déjà ça ! En tout cas pour la qualité du sol, c’était dix fois mieux maintenant. Rien de pire qu’un manège poussiéreux, d’autant qu’il est fermé du sol au plafond…
La lourde porte se referma toute seule derrière eux, faisant tressaillir Java qui de toute façon ne perdait jamais une occasion de se la jouer petite miss effarouchée. D’une main machinalement posée sur son encolure, Tomáš apaisa la demoiselle qu’il mena au milieu du manège pour attacher la muserolle, ressangler & tout le tralala nécessaire avant de monter.
À peine se fut-il posé en selle que déjà Java commençait à faire des siennes. Petit « pétage de câble » qui dura tout de même quelques minutes avant que Tomáš prenne définitivement le contrôle, mettant fin à une série de coups de cul et sauts de mouton particulièrement énergiques. Oui, bon, apparemment, la grande baie n’avait pas spécialement envie d’avoir un cavalier sur le dos… Pas de chance pour elle, le jeune homme était plutôt doué lorsqu’il s’agissait de jouer au rodéo. Oui, il était tenace & obstiné, et même suffisamment autoritaire et décidé à se faire respecter pour terminer le cinéma de la jument… !
Comme la veille, le Slovaque fit travailler sa monture au pas et au trot avec beaucoup de patience et de douceur. Le manège était une très bonne option finalement, car il coupait la vue sur l’extérieur et donc, la trotteuse était beaucoup moins déconcentrée. La communication entre eux étant facilitée, Tomáš réussit à obtenir plus facilement que la veille ce fameux cercle correct sous plusieurs points de vue : impulsion, calme (presque toujours… !), incurvation (même si elle profitait de la moindre inattention…), équilibre. Pour la première fois le jeune homme sentit qu’il entretenait avec la bouche de sa monture un contact qui se rapprochait du bon, malgré le peu de sensibilité de Java. Il sentait s’approcher le moment où, suffisamment décontractée et confiante, elle viendrait d’elle-même se poser sur le mors. Mais ça, cependant, ce n’était sûrement pas pour aujourd’hui…
Lorsqu’il eut échauffé la jument, Tomáš ne quitta pas le cercle sur lequel il l’avait mise au trot enlevé et s’assit dans sa selle, veillant à ne pas perturber sa monture par un changement d’aides malvenu. Il fit quelques tours au trot assis, ressentant les mouvements de Java, se concentrant pour suivre le poser de chaque diagonal, l’un après l’autre. Bien qu’il la sente par moments prête à se rebeller, la trotteuse se pliait à ses demandes, suivant de la tête à la queue le dessin du cercle en une incurvation légère mais correcte, gardant une allure cadencee –il faut dire aussi qu’il soignait chaque foulée pour qu’elle soit indentique à la précédente…-. Il transitionna au pas et malgré une ou deux foulées incorrectes durant lesquelles elle se raidit, Java eut tôt fait de reprendre la position et la cadence qu’il demandait. Après un tour complet qui avait pour but d’assurer définitivement la bonne qualité du pas et l’équilibre de la demoiselle, le jeune homme positionna ses aides avec un grand soin. Jambe droite à la sangle, jambe gauche légèrement reculée pour éviter aux hanches de déraper, poids du corps reporté sur l’extérieur, rêne d’appui… et à toutes ces aides ordinaires et normales du départ au galop à droite, il ajouta la voix, comme lorsqu’ils bossaient en longe : « Gaa-lop ! »
Face à la pression de sa jambe intérieure, Java prit le trot, un peu vite mais moins déséquilibrée qu’il ne s’y était attendu. Toutefois, au second essai, grâce à l’ordre vocal qu’elle connaissait bien maintenant et à la position de son cavalier qui faisait tout pour l’inciter à adopter l’allure voulue, la jument prit le galop. Deux foulées plus tard il repassa au pas et la félicita chaleureusement, aux anges. Il redemanda deux départs en soignant au préalable l’allure, puis lorsqu’il avait obtenu le galop, gardait les jambes au contact pour maintenir l’allure et accompagnait les mouvements avec son bassin, De la sorte, il put aller jusqu’à plus parcourir plus d’un demi cercle au galop. C’était génial, super, extra, grisant, que de galoper pour la première fois sur le dos de cette sacrée Java ! Bon, ne nous voilons pas la face, c’était bien loin d’être un beau galop parfait. Elle avait tendance à se coucher sur le cercle mais il parvenait à la contenir en usant sans cesse de sa jambe intérieure, effectuant des pressions discontinues à la sangle, et à redresser le nez comme si les nuages (enfin, plutôt, les poutres du manège…) formaient un spectacle extrêmement intéressant et passionnant à regarder. Malgré tout, Tomáš était ravi et ne manqua pas de féliciter longuement et chaudement sa grande monture.
À l’autre main, par contre, les catastrophes ne se firent pas attendre. La trotteuse était beaucoup moins à l’aise à gauche, il avait déjà eu maintes fois l’occasion de s’en apercevoir. La première demande fut un échec, et à la seconde elle s’emballa carrément au trot, agitant violemment la queue comme si elle était excédée par ce cavalier qui venait la titiller et lui demander des trucs particulièrement casse-piedssabots. Après avoir eu une fois de plus le privilège de goûter au trot de course, cette allure rapide et si inconfortable quasi impossible à maîtriser, le jeune homme, non sans des difficultés dont nous lui épargnerons le résumé, parvint à calmer sa fofolle de jument. Il reprit alors les exercices du début, au pas et au trot, pour (re)positionner correctement la jument sur le cercle et lui faire retrouver le bon état d’esprit & de travail qu’elle avait frôlé un peu plus tôt. Lorsqu’elle fut à nouveau calme et en équilibre, Tomáš redemanda le galop en marquant beaucoup plus ses aides qu’avec un autre cheval, comme les débutants qui apprennent à monter et n’ont pas encore acquis la précieuse « descente des aides ». Considérablement aidé par sa voix, le jeune homme obtint ce qu’il voulait. Aussitôt, il félicita la grande baie, puis la fit repasser au pas en la couvrant de caresses.
Ça suffisait pour ajourd’hui ; il préférait la laisser là-dessus, et pourquoi pas, qu’elle cogite sur le sujet jusqu’au lendemain si ça lui faisait plaisir ; elle ne pourrait qu’en tirer des conclusions bénéfiques pour le travail…
Il rallongea ses rênes, laissant souffler la demoiselle qui baissa la tête. Bon signe, ça : apparemment, elle avait bien bossé aujourd’hui !
Puis, il vint l’arrêter au milieu et descendit de selle, dessangla aussitôt de deux trous et défit la muserolle pour donner une carotte bien méritée à Java. Il remonta rapidement ses étriers, puis le duo quitta le manège.